Introduction

Au cœur d’une nouvelle controverse mêlant technologie et géopolitique, un package open source nommé easyjson fait l’objet d’une attention médiatique et sécuritaire croissante. Ce composant logiciel, utilisé dans de nombreuses infrastructures critiques américaines et mondiales, est maintenu par des développeurs liés à VK (anciennement Mail.ru), l’un des plus grands conglomérats technologiques russes. Cette situation soulève des questions importantes sur la sécurité des chaînes d’approvisionnement logicielles et la confiance accordée aux projets open source développés par des entités liées à des gouvernements considérés comme adversaires.

Qu’est-ce qu’EasyJSON?

EasyJSON est une bibliothèque écrite en Go qui optimise la sérialisation et la désérialisation de données au format JSON. Elle génère du code Go spécifique pour le traitement JSON, ce qui la rend 3 à 5 fois plus rapide que la bibliothèque standard encoding/json de Go. Cette performance exceptionnelle explique sa popularité et son adoption généralisée dans l’écosystème cloud-native.

La bibliothèque est particulièrement utilisée dans:

  • Des projets critiques comme Kubernetes, Helm, Istio et d’autres outils de la Cloud Native Computing Foundation (CNCF)
  • Des systèmes gouvernementaux américains, notamment au Département de la Défense
  • De nombreuses entreprises du Fortune 500
  • Des secteurs sensibles comme la finance, la santé et la technologie

La problématique: Des liens avec VK et le Kremlin

La controverse récente émane d’une étude menée par Hunted Labs, qui a découvert que plus de 85% des contributions au code d’easyjson proviennent de développeurs basés à Moscou et employés par VK Group. Cette découverte soulève plusieurs problèmes majeurs:

VK Group et ses liens politiques

  • VK est souvent décrit comme le « Facebook russe », mais ses relations avec le gouvernement sont bien plus étroites
  • Son PDG, Vladimir Kiriyenko, est le fils d’un haut conseiller de Vladimir Poutine
  • Kiriyenko est personnellement sous sanctions américaines et européennes depuis 2022
  • VK est partiellement détenu par Gazprom Media, une entreprise d’État russe
  • L’entreprise a un historique documenté de coopération avec les services de sécurité russes (FSB)
  • Elle a été impliquée dans la censure d’opinions politiques dissidentes et la diffusion de désinformation, notamment concernant l’invasion de l’Ukraine

Risques potentiels identifiés

Bien qu’aucun code malveillant n’ait été trouvé dans easyjson à ce jour, les chercheurs mettent en garde contre plusieurs scénarios possibles:

  1. Attaque de la chaîne d’approvisionnement: Introduction subtile de vulnérabilités ou de backdoors dans le code
  2. Exécution de code à distance via des failles de désérialisation
  3. Espionnage numérique: Vol de données sensibles transmises via JSON
  4. Activation d’un « interrupteur mortel » qui pourrait paralyser des infrastructures critiques
  5. Cellule dormante numérique: Code malveillant pouvant rester inactif jusqu’à son activation

Ces préoccupations sont amplifiées par le précédent de la bibliothèque XZ Utils, où une backdoor a été découverte récemment après avoir été discrètement introduite par un développeur sous pseudonyme.

Réactions et conséquences

La révélation des liens d’easyjson avec VK a provoqué diverses réactions dans la communauté technologique et les cercles gouvernementaux:

Réactions des experts en sécurité

  • George Barnes, ancien directeur adjoint de la NSA, a souligné le risque que des hackers liés aux services de renseignement russes puissent exploiter easyjson
  • Les chercheurs de Hunted Labs ont qualifié la situation de menace « persistante » pour la sécurité nationale américaine
  • Des inquiétudes sont exprimées quant à la posture de sécurité relativement faible d’easyjson, avec un score de seulement 3,7/10 selon les critères de l’OpenSSF

Évolution des modèles de confiance

Le cas d’easyjson s’inscrit dans une tendance plus large de réévaluation des projets open source. Par exemple:

  • En 2022, un mainteneur du noyau Linux a retiré 11 développeurs russes du projet, citant les sanctions et les risques géopolitiques
  • Début 2025, la Linux Foundation a publié des recommandations concernant la prise en compte des sanctions internationales dans les projets open source

Impacts sur la gestion des dépendances logicielles

La controverse autour d’easyjson met en lumière les défaillances dans la façon dont les organisations gèrent leurs dépendances:

  • Absence de vérification systématique de l’origine des composants logiciels
  • Confiance implicite accordée aux projets open source sans évaluation des risques
  • Priorisation de la vitesse de développement au détriment de la sécurité

Solutions proposées

Face à cette situation, plusieurs approches sont envisagées:

Pour les utilisateurs actuels d’easyjson

  1. Audit des dépendances: Examiner régulièrement les bibliothèques tierces et identifier celles présentant des liens étrangers ou des historiques de maintenance opaques
  2. Alternatives techniques: Explorer d’autres bibliothèques de sérialisation JSON comme UltraJSON, jsoncpp, jsonschema ou revenir à la bibliothèque standard encoding/json de Go
  3. Inspection du code: Analyser en profondeur le comportement technique d’easyjson et surveiller ses pipelines de développement

Pour la communauté open source

  1. Développement communautaire: Créer des alternatives maintenues par une communauté plus diversifiée et transparente
  2. Normes de vérification: Établir des processus standardisés pour évaluer les risques géopolitiques des dépendances logicielles
  3. Modèles de gouvernance: Promouvoir des structures de gouvernance ouvertes pour les projets critiques

Pour les gouvernements et organisations

  1. Directives de sécurité: Élaborer des recommandations claires concernant l’utilisation de logiciels développés par des entités sous sanctions
  2. Collaboration public-privé: Encourager les partenariats entre gouvernements et industrie pour identifier et atténuer les risques
  3. Sensibilisation: Former les développeurs et les décideurs aux enjeux de sécurité des chaînes d’approvisionnement logicielles

Perspectives d’avenir

La controverse autour d’easyjson représente un moment charnière dans l’évolution de la sécurité des logiciels open source. Elle met en évidence la tension entre les avantages de la collaboration mondiale dans le développement logiciel et les réalités géopolitiques qui peuvent compliquer cette collaboration.

À court terme, de nombreuses organisations vont probablement réévaluer leur utilisation d’easyjson et potentiellement migrer vers des alternatives. À plus long terme, cette affaire pourrait accélérer le développement de meilleures pratiques et de nouveaux outils pour évaluer et gérer les risques liés aux dépendances logicielles.

Il est crucial cependant de ne pas tomber dans une méfiance généralisée qui pourrait fragmenter l’écosystème open source selon des lignes géopolitiques. L’objectif devrait être de développer des systèmes permettant de construire et de maintenir la confiance, même dans un contexte international complexe.

Conclusion

L’affaire easyjson illustre parfaitement les défis contemporains de la sécurité informatique, où les questions techniques, économiques et géopolitiques s’entremêlent inextricablement. Elle nous rappelle que la sécurité des systèmes informatiques ne dépend pas seulement de la qualité du code, mais aussi de la confiance que l’on peut accorder à ceux qui le développent et le maintiennent.

Dans un monde où les tensions géopolitiques s’intensifient, la communauté technique doit trouver un équilibre délicat: rester ouverte à la collaboration mondiale tout en étant vigilante face aux risques que cette ouverture peut engendrer. Le futur de l’open source dépendra en grande partie de notre capacité collective à naviguer ces eaux troubles avec discernement et prudence.

Liens

 

Cet article est écrit avec l’aide d’une IA