L’Open Source Lab (OSL), incubateur historique de projets open source hébergé depuis 22 ans au sein d’Oregon State University, se retrouve aujourd’hui en péril. La baisse des financements combinée à des coupes budgétaires universitaires place ce pilier discret du logiciel libre au bord de la fermeture. La direction du lab lance un appel urgent pour rassembler 250 000 $ et éviter l’arrêt définitif de ses activités d’ici la fin de l’année.
Contexte : 22 ans au service de l’open source
Créé en 2003 au sein de l’Oregon State University (OSU) – à ne pas confondre avec l’Université de l’Oregon – l’Open Source Lab (OSL) a pour mission de soutenir l’écosystème du logiciel libre en fournissant infrastructure, hébergement et mentorat aux projets du monde entier. En 22 ans, ce laboratoire académique est devenu un acteur incontournable mais souvent méconnu de la communauté open source. Il a hébergé l’infrastructure de centaines de projets majeurs et formé plus de 130 étudiants, dont beaucoup ont poursuivi des carrières techniques fructueuses après leur passage au lab.
Quelques faits marquants illustrent son impact :
- Hébergement de Mozilla Firefox dans ses jeunes années et mise en ligne de la version 1.0 du navigateur.
- Accueil pendant de longues années de projets phares comme l’Apache Software Foundation, la Linux Foundation, Kernel.org ou la fondation Mozilla.
- Opérateur de miroirs de téléchargement à haut débit, délivrant jusqu’à 430 To de données chaque mois à des utilisateurs du monde entier.
- Infrastructure actuelle pour des projets emblématiques tels que Drupal, Gentoo, Debian, Fedora, OpenID, Inkscape, phpBB et bien d’autres.
L’OSL fonctionne en partenariat avec la School of Electrical Engineering and Computer Science d’OSU, offrant aux étudiants une expérience pratique de gestion de serveurs et de services en production, tout en aidant des millions d’utilisateurs à accéder aux logiciels libres. Ce modèle unique allie mission éducative et service à la communauté technologique.
Un modèle économique à bout de souffle
Malgré son importance, l’OSL fait face à une crise de financement. Depuis plusieurs années, le laboratoire opère à perte, ses ressources étant insuffisantes pour couvrir les coûts. En cause, une baisse progressive des donations d’entreprises qui soutenaient financièrement le lab. Jusqu’ici, le College of Engineering (CoE) de l’université comblait le déficit, reconnaissant la valeur de l’OSL pour OSU et au-delà.
Cependant, de récents changements dans la répartition des financements publics ont fortement réduit le budget du CoE, forçant la faculté à réduire ses programmes. « De nouvelles priorités fédérales et des coupes budgétaires proposées, notamment pour la recherche, pourraient avoir des conséquences négatives directes pour OSU » a prévenu la présidente de l’université, Jayathi Murthy, dans un rapport au conseil d’administration. (video) Autrement dit, le contexte budgétaire tendu oblige l’université à faire des choix drastiques, et le modèle actuel de l’Open Source Lab n’est plus tenable sans recettes externes supplémentaires.
Appel d’urgence de l’OSL et position de l’université
Face à cette situation critique, la direction de l’OSL a lancé un appel à l’aide sans ambiguïté. « À moins de réunir 250 000 $ de financements engagés, l’OSL sera contraint de fermer plus tard cette année » avertit Lance Albertson, directeur du lab, dans un message publié le 30 avril. Cette somme correspond peu ou prou au budget annuel manquant : principalement les salaires d’un employé permanent et de huit étudiants qui font tourner la structure, plus quelques frais opérationnels. Albertson indique avoir sollicité le plus grand sponsor privé du lab pour qu’il augmente son soutien, « mais cela ne suffira peut-être pas » concède-t-il. Il invite urgemment toute entité pouvant aider – entreprises tech, organisations ou particuliers attachés aux logiciels libres – à se manifester pour sauver ce « pan essentiel de l’écosystème open source ». (siliconflorist | OSL)
Du côté de l’université, la décision semble prise de ne plus financer le lab sur fonds propres en l’absence de nouvelles ressources. Le College of Engineering, jusqu’alors garant de l’équilibre budgétaire, ne peut plus éponger les pertes de l’OSL depuis la baisse de son enveloppe. « Notre modèle de financement n’est plus soutenable et le CoE doit chercher à réduire des programmes » a expliqué Albertson, relayant le message qu’il a reçu de sa hiérarchie. En filigrane, l’OSU souligne qu’elle n’a pas les moyens de continuer à héberger le lab gratuitement, tout en exprimant – en interne – son regret de voir un tel programme menacé par la conjoncture.
Projets et personnels directement affectés
Concrètement, l’arrêt du soutien d’OSU met en danger immédiat l’hébergement de nombreux projets open source. L’Open Source Lab supporte actuellement l’infrastructure de plus de 500 projets libres à travers le monde, dont plusieurs pièces critiques de l’écosystème. Par exemple, la distribution Gentoo Linux (Gentoo) s’appuie lourdement sur l’OSL pour héberger ses serveurs principaux ainsi que des machines de développement pour des architectures matérielles rares – un service crucial pour son fonctionnement quotidien. Des projets comme Drupal ou Debian utilisent également les ressources du lab pour toucher leurs millions d’utilisateurs. Si le lab venait à fermer, ces organisations seraient contraintes de migrer en urgence leurs données et services vers d’autres plateformes, avec les risques de perturbation, de coût et de temps que cela implique.
Au-delà des projets hébergés, c’est aussi une équipe et un savoir-faire qui seraient dispersés. L’OSL ne compte qu’un seul salarié à plein temps, épaulé par une poignée d’étudiants employés à temps partiel. La fermeture signifierait la perte de ces postes et de ce vivier de formation pratique. Depuis sa création, le lab a permis à plus d’une centaine d’étudiants de se former sur le terrain, beaucoup ayant ensuite rejoint de grandes entreprises technologiques. La fin de l’OSL marquerait donc également la disparition d’un tremplin pédagogique unique entre le monde universitaire et les communautés open source.
Émoi dans la communauté open source
L’annonce de la possible fermeture de l’OSL a provoqué une vague d’émotion et de mobilisation dans la communauté du logiciel libre. Plusieurs voix influentes ont tenu à exprimer leur soutien et leur inquiétude. La Python Software Foundation, par exemple, a publiquement remercié l’OSL pour ses services – elle y hébergeait des infrastructures depuis 2012 – se disant « attristée d’apprendre » que le lab traverse une crise financière majeure (Python Software Foundation). Du côté de Gentoo, un appel « urgent » a été publié dès le 30 avril pour encourager tous ceux qui le peuvent à aider financièrement le lab. Le projet Gentoo y rappelle que l’OSL a été un « soutien majeur » pour Gentoo et tant d’autres, et invite même les entreprises employant d’anciens développeurs formés à l’OSL à « rendre la pareille » via un don ou un sponsoring.
Sur les réseaux sociaux et les forums, de nombreux anonymes ou développeurs renommés relaient également l’information. Des témoignages soulignent l’impact considérable qu’a eu l’OSL au fil des années. « L’OSL a été transformateur pour ma carrière lorsque j’étais un jeune étudiant en informatique à Corvallis », confie un commentateur, louant les retombées positives du lab tant pour la communauté open source que pour les étudiants qui y sont passés. D’autres se remémorent comment l’OSL a fourni, à des moments critiques, des ressources techniques que leur projet n’aurait pas pu s’offrir autrement (par exemple du temps de calcul sur des serveurs IBM Power7 pour aider le compilateur Haskell). Autant de messages qui peignent le portrait d’une infrastructure certes peu visible du grand public, mais essentielle en coulisses. « Si vous tenez à l’open source, vous devez vous soucier du futur de l’OSL », résume un billet de blog local, rappelant à quel point ce laboratoire opère humblement « en arrière-plan » pour le bénéfice de tous.
Quelles solutions pour sauver l’OSL ?
À très court terme, la seule planche de salut pour l’Open Source Lab est de réunir les 250 000 $ manquants afin de boucler son budget annuel. Lance Albertson a fixé une date butoir à la mi-mai 2025 pour sécuriser des engagements de fonds et pouvoir annoncer la continuation des activités. L’OSL en appelle en priorité aux entreprises technologiques et autres acteurs majeurs qui bénéficient indirectement de ses services : un partenariat de mécénat sur le long terme serait l’issue la plus durable. Historiquement, des géants comme Google ou IBM ont sponsorisé le lab, mais les contributions privées se sont taries ces derniers temps. Le directeur de l’OSL espère désormais convaincre de nouveaux mécènes ou inciter d’anciens partenaires à augmenter leur soutien. Parallèlement, l’OSU Foundation – l’organisme caritatif de l’université – accepte les dons individuels, offrant un cadre déductible d’impôts pour les contributeurs souhaitant aider financièrement.
Si ces efforts ne suffisent pas, l’avenir du lab est des plus incertains. En interne, l’université ne laissera pas perdurer un centre en déficit au-delà de cette année. La communauté open source s’interroge donc sur les alternatives possibles. Certains observateurs soulignent qu’une somme de 250 000 $ reste dérisoire à l’échelle des géants du numérique : « c’est de l’argent de poche » pour un groupe comme Meta (Facebook), note avec ironie le site The Register, qui s’interroge toutefois sur la probabilité qu’un tel sauveur se manifeste. D’autres évoquent l’opportunité pour de grandes fondations du libre (par ex. la Linux Foundation, Apache ou Mozilla) de prendre le relais en intégrant l’OSL à leurs initiatives, ou pour une institution publique ou universitaire mieux dotée d’offrir un nouveau foyer au lab. À défaut, une migration vers des solutions cloud sponsorisées par des fournisseurs pourrait être envisagée pour continuer d’héberger les projets les plus critiques – une solution transitoire qui ne remplacerait qu’en partie la mission éducative du laboratoire.
Pour l’heure, aucune annonce concrète n’a été faite quant à une éventuelle relocalisation ou reprise externe. Tout se jouera donc dans les semaines à venir. La date limite fixée approche et l’issue reste suspendue à la mobilisation – ou non – de soutiens financiers suffisants. Une chose est sûre : la disparition de l’Open Source Lab d’OSU constituerait une perte lourde de sens pour l’infrastructure du logiciel libre, et sa communauté retient son souffle en espérant un dénouement positif à cette crise.
[Update: Dans la soirée du 9 Mai, heure de Paris, un nouveau post de blog a indiqué qu’ils avaient sécurisé le financement de la fin de l’année. C’est une bonne nouvelle, mais ils doivent maintenant construire les partenariats sur le long terme: https://osuosl.org/blog/osl-future-update/]
Cet article a été écrit avec l’aide d’une IA